Les matières premières et l’Afrique, un mariage difficile

 Les matières premières et l’Afrique, un mariage difficile
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Les matières premières sont-elles maudites, incapables de servir le développement d’un pays ? C’était l’une des questions posées autour du débat organisé par la Fondation prospective et innovation (FPI) sur le thème « Matières premières et décollage de l’Afrique : contraintes et opportunités », animé par Jean-Pierre Raffarin avec le Premier ministre de Guinée, Ibrahima Kassory Fofana, Philippe Chalmin,  président de Cyclope et  professeur à l’Université Paris-Dauphine et Yves Jegourel, président de l’association Commodities for Nations, et professeur à l’Université de Bordeaux.

Un des thèmes chers à Philippe Chalmin est bien celui de la malédiction des matières premières, qui est presque une constante dans l’histoire. Les exceptions se comptent sur les doigts de la main. C’est le cas bien connu de la Norvège pour le pétrole et la création du fonds pour les générations futures, qui souligne le professeur, est devenu aujourd’hui le plus grand fonds mondial avec  plus $1000 milliards, ou encore le Chili avec le cuivre, la rente diamantifère au Botswana ou la Malaisie. L’exploitation des matières premières provoque des déséquilibres macroéconomiques, encore appelé syndrome hollandais, crée une dépendance et fréquemment engendre de la corruption. S’ajoute une contrainte majeure, l’instabilité des marchés difficile à conjuguer avec un plan de développement à moyen terme.

Mais pour Yves Jegourel, qui estime que la malédiction des matières premières est un concept nébuleux et déterministe, l’Afrique gagnerait à développer des outils de gestion pour gérer l’instabilité et une activité de négoce. Outre les fonds souverains, comme en Norvège, un instrument pour gérer  l’instabilité serait l’accès de l’Afrique aux produits dérivés ce qui nécessite des infrastructures bancaires « puissantes et résilientes ». Et puis, « n’oublions pas que dans cette chaîne de valeur des matières premières on a un acteur absolument incontournable mais qui reste très discret c’est le négociant, qui a la capacité à réconcilier dans le temps et dans l’espace les vendeurs et les acheteurs de matières premières et in fine de gérer l’instabilité des prix » précise-t-il tout en remarquant que les négociants africains sont rares.

La Chine garante d’une transformation de la bauxite en Guinée

La bauxite a été au cœur du débat, la Guinée, deuxième producteur mondial et premier exportateur mondial de ce minerai, misant sur sa transformation en alumine et aluminium pour industrialiser le pays. Dix projets de raffinerie sont en développement dont trois le sont au stade avancé. Pour les deux professeurs, la pertinence économique de cette stratégie est accueillie avec prudence. En premier lieu cette stratégie implique des capacités énergétiques importantes et peu chères. Mais surtout en passant de l’alumine puis à l’aluminium, cela veut dire que les pays doivent gérer deux prix volatils ce qui altère la capacité à générer des ressources stables. En outre, précise Philippe Chalmin la valeur ajoutée entre bauxite et l’aluminium est beaucoup plus faible que celle entre la bauxite et alumine.

Si le Premier ministre de Guinée souligne qu’ « A bien des égards, les matières premières sont une malédiction et que la Guinée ne fait pas exception », et ne sous-estime pas les problèmes notamment des coût des usines, des infrastructures, de l’énergie ou encore du capital humain, il estime que le partenariat à long terme entre la Guinée et la Chine résout une partie des problèmes et est une réponse à la volatilité des marchés. Ainsi, en pleine année de la Covid-19, la Guinée a réalisé une croissance de plus 6% grâce notamment à ses exportations de bauxite vers la Chine avec un contrat commercial la aussi à long terme donc très peu sensible au marché. « On fait un mauvais procès à la Chine et à l’Afrique » estime Ibrahima Kassory Fofana. La Chine qui a aussi octroyé un prêt de $20 milliards gagé sur l’exploitation de la bauxite pour financer les infrastructures.  « Un partenariat à long terme qui quoi qu’on dise semble absolument pertinent car il est une réponse indirecte à la volatilité et à l’incertitude des marchés » conclut le Premier ministre.

L’agriculture plébiscitée

L’agriculture fut un sujet de consensus. Si la Guinée mise sur la transformation de la bauxite pour s’industrialiser et créer de la valeur, la rente minière est un levier pour financer le développement de l’agriculture et créer un tissu industriel à partir des productions locales, en particulier la filière fruits affirme le Premier ministre, qui souligne qu’un quart seulement du potentiel agricole est exploité.

Pour Philippe Chalmin, l’une des deux pistes majeures pour les matières premières est celle de l’agriculture. « La encore probablement pas autour de grands projets agroindustriels  comme on les aime bien mais beaucoup plus de véritables politiques agricoles basées sur la petite exploitation. Le modèle de la Malaisie était de ce point de vue la assez fascinant lorsqu’ils ont développé des structures coopératives assez dirigées qui font et dominent littéralement tout le secteur du caoutchouc et surtout de l’huile de palme. Cela me paraît essentiel ». On peut aussi retrouver l’agriculture  dans la deuxième piste qui est celle de la cottage industrie où l’Afrique pourrait profiter de la deuxième délocalisation, ce qu’elle n’a guère fait jusqu’à présent contrairement au Bangladesh devenu leader mondial de l’industrie du vêtement sans au départ d’avantages comparatifs.  

Mille fois oui pour l’agriculture affirme aussi Yves Jegourel ajoutant que  « la pandémie de la Covid a rappelé toute la crispation internationale autour de la question de la sécurité alimentaire avec encore une fois une problématique chinoise qui est devenu le premier importateur mondial de céréales ».

L’agriculture, qui contrairement à la transformation de la bauxite, est beaucoup moins capitalistique et a une plus grande capacité à créer des emplois.

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